L’éclat d’un miroir tourmenté (Nouvelle fantastique) –
Impuissante, Camille fixait les crocs. Il bavait tant il était excité. Elle ne l’avait jamais vu aussi agressif. Qu’avait-il ? Elle ne parvenait pas à maîtriser son berger allemand, Rex, habituellement obéissant. Il aboyait, le regard pénétrant dirigé vers un pan de mur du salon. Elle réussit enfin à le tirer hors de la pièce. Le calme revenu, elle émit un ouf de soulagement. Bien sûr, elle avait modifié la décoration, mais rien ne justifiait cet acharnement.
Peu de temps auparavant, elle avait fait la connaissance de Nathalie. Elles avaient sympathisé. Camille s’était confiée. Un jour, Nathalie assura pouvoir l’aider à rendre plus harmonieuse la circulation des énergies dans sa maison.
— Tu dis que ton célibat s’éternise. Mais, regarde le mur de ton salon. Il est en retrait. Cette pièce est amputée et selon ton thème astral, ta sphère amoureuse habite cet endroit. Installe un miroir au-dessus de la cheminée. Tu verras, un chemin de rencontre s’ouvrira à toi, car symboliquement le miroir sera comme une extension de cet espace.
Amusée, mais confiante, Camille alla chez un antiquaire. Elle fut attirée instantanément par le charme d’un miroir. Son cadre était recouvert d’un lin brodé de lianes sinueuses. Malgré le prix, elle l’acheta. Sitôt acquis, sitôt accroché. Elle était satisfaite du résultat. À la lumière du jour, il resplendissait de mille feux.
La réaction de Rex la contrariait. Une nouvelle tentative s’imposait. Elle entrebâilla la porte. L’animal bondit, hurlant à la mort. C’était ici qu’il séjournait le plus souvent. Comment Camille allait-elle gérer cette cohabitation entre lui et cet objet qui le dérangeait tant ?
Le soir même, alors qu’elle lisait, assise sur le canapé du salon, une étrange oppression l’envahit. Elle eut le sentiment tout à coup de ne pas être seule. Une présence impalpable était là. Ça venait du miroir, elle en avait la conviction. Elle sentit ses mains s’engourdir. Cette sensation couvrit son corps entier qui semblait figé, retenu par une énergie inconnue. Elle ne pouvait plus bouger. Pourtant elle aurait souhaité se lever, faire face, pour se convaincre que ce qu’elle vivait n’était qu’illusion. Mais ses muscles ne répondaient plus à sa volonté. Son cou devint la cible de l’être invisible dont elle soupçonnait l’existence. La gorge serrée, elle suffoqua. L’air lui manqua. Une odeur de poudre parvint à ses narines. Elle se concentra sur sa respiration. Après des efforts surhumains, elle finit enfin par prendre le dessus. Un immense soulagement s’empara d’elle. Qu’était-il arrivé ? Elle partit se coucher sans se retourner de peur que son corps soit à nouveau capté par cette force menaçante qu’elle préférait ignorer.
Elle dormit tant bien que mal. Au petit matin, le chant des oiseaux la réconforta. Comment avait-elle pu la veille se soumettre à l’influence de son chien ? Certes, il n’appréciait pas son nouvel achat. Ce n’était pas une raison pour se prêter à cet envoûtement !
Il faisait froid, mais sec. Rex passerait la journée dans le jardin. Elle ouvrit la porte du salon qui donnait sur le hall d’entrée de la maison. Si esprit il y avait, il pourrait ainsi s’échapper. Soudain, elle entendit les aboiements furieux de Rex. Il s’acharnait à nouveau contre le fameux mur. Sa rage explosait. Il enchaîna des va-et-vient entre l’arrière de la demeure et l’avant. Camille le suivit à l’extérieur. Rien. Elle rentra, alla vers le salon. Elle perçut un ronronnement anormal émanant du miroir. L’objet tremblait au rythme sourd du son provenant du mur. Reprenant ses esprits, elle s’exclama, ébahie :
— C’est un feu de cheminée !
À l’appel de Camille, les pompiers arrivèrent rapidement. L’incendie fut circonscrit sans dommage. Elle l’avait échappé belle.
— Vous pouvez remercier votre chien ! ça survient de temps à autre. Aucun type de chauffage n’est épargné.
— Est-il possible que ce feu couve depuis hier ?
— Bien sûr que non ! Sinon, votre maison serait dans un sale état à cet instant. Et vous avec !
Elle ne pouvait accepter cette réponse. Elle appela Nathalie. Constatant le désarroi de Camille, elle accourut sur-le-champ et scruta un moment le tain.
— Ce miroir veut te parler, dit-elle à Camille, d’une voix à l’accent guttural. Le fond de ses yeux était injecté de sang. On aurait dit que ses ongles recouverts d’un vernis noir avaient poussé exagérément. Ses cheveux hérissés encadraient son visage méconnaissable. Comme un automate, elle poursuivit :
— L’antiquaire sait sans doute des choses. Nathalie sortit à la hâte laissant son amie désemparée. Camille partit sur le champ chez son vendeur. Il ne sembla pas surpris par son arrivée. Il comprit ce qu’elle venait chercher et l’invita à s’asseoir.
— Chez vous aussi ce miroir fait des siennes. Vous souhaitez connaître son histoire, n’est-ce pas ?
Après toutes les incohérences vécues depuis la veille, Camille se demanda s’il n’allait pas prendre une apparence démoniaque, cet homme au visage de prince charmant. Elle se ressaisit et l’écouta.
— Cette magnifique pièce date des années 20. Il trônait à cette époque dans le bureau d’une maison bourgeoise. Pour un différend d’ordre financier, un individu après une violente bagarre faite de coups, de tentatives d’étranglement, a tiré une balle vers son frère, qui en est mort. Afin de cacher son crime, il incendia la villa dont il ne resta plus que des cendres et par miracle ce miroir intact. Ça s’est passé non loin d’ici, chez les Dumas de Beaulieu. Toujours perturbé par ce qu’il a vécu, ce miroir a besoin d’être rassuré. Allons-y ensemble.
— Il est vrai que l’attitude de mon chien ne peut guère l’aider !
Entrant dans le salon, ils découvrirent, consternés, la glace striée de part en part. Ils étaient arrivés trop tard. Désespéré, le miroir s’était, comme suicidé. S’il avait patienté, il aurait pourtant pu être témoin d’un amour naissant. Le conseil de Nathalie avait en tout cas permis cette rencontre entre Camille et le bel antiquaire.
Rex, face au miroir, semblait à présent, tellement serein.