Là où l’herbe est plus verte (Science-fiction)
Trônant sur son piédestal, Wotofi, le maître incontesté de la planète Nibiru, domine son sujet, Adir. Il le somme d’effectuer au plus vite un premier essai du vaisseau dont il a exigé la création.
— Enfin, Adir, où en es-tu ? Tu étais là lors du dernier concile ! Tu connais les enjeux de cette mission que je t’ai confiée ! Si cet essai n’a pas eu lieu au plus tard au quarantième lever de soleil, Haava te sera retirée.
— Mais nous sommes dorénavant mariés !
— Peu m’importe. Ce sera ta sanction.
L’ordre du chef suprême était sans appel. Adir dirigeait le département Développement de l’administration de Nibiru. Il avait été nommé à ce poste par Wotofi qui avait décelé chez lui une intelligence hors norme qu’il comptait bien exploiter. Il l’avait uni à Haava, conçue avec des dispositions similaires. L’un et l’autre travaillaient ensemble à la construction du vaisseau commandé.
Adir pressa alors ses équipes. Au cours de ce concile, dans l’obscurité de la salle des Ordres, Wotofi avait donné ses directives. Une poignée de proches acquise à sa cause devrait se rendre sur une planète lointaine. Leur mission consistait à en rapporter un élément chimique rare, le lorraina. De cette substance, le pouvoir d’invisibilité qu’il espérait serait créé. Il détecterait les traîtres dont il soupçonnait l’existence. Il les anéantirait. L’expédition ne pouvait s’accomplir qu’à bord d’un engin furtif, capable d’embarquer son staff en toute discrétion.
Dans le hangar, autour du AH Lorraina, s’activent des automates pensants, sous le regard inquiet d’Adir. Son ordinateur intégré à son avant-bras gauche lui indique comment alléger encore la structure cristalline métallique. Le fuselage filiforme de l’appareil brille de mille feux. L’achèvement se profile. Pourtant, les menaces de Wotofi pèsent sur le moral d’Adir. Il tient tellement à Haava. Pour sceller leur union, il envisage de lui offrir un voyage interplanétaire. Si le maître de Nibiru ressent de l’hostilité à son égard, jamais ils n’obtiendront les autorisations pour sortir sur le pas de tir.
De ce voyage, ils ont longuement parlé. L’existence ici se fait chaque jour plus pesante. Tout est artificiel. Bien sûr, le soleil qui éclaire l’endroit est bienfaisant. Cependant, sous la voûte céleste visible depuis la coque transparente entourant l’astre, l’air qu’ils respirent est fabriqué. Une recette simple : diazote, dioxygène principalement. Même principe concernant l’eau, avec les ingrédients appropriés. L’air est vital pour le jeune homme, de même que l’eau. Pour Haava, c’est différent. Sa constitution n’exige rien de similaire, mais elle partage les frustrations de son époux. Les ascendants d’Adir, depuis des générations, étaient poètes. Ils se sont transmis en secret des descriptions de lieux enchantés qu’il rêve de découvrir. Sur Nibiru, le sol est infiniment uniforme, gris. Tout est si triste, si monotone. Un pessimisme ambiant règne sur ce monde sans fantaisie. Le couple étouffe dans cet environnement. Il aspire à un ailleurs.
Si seulement Adir pouvait emmener Haava vers d’autres horizons. Mais l’astre qu’il envisage d’atteindre avec sa compagne est bien trop éloigné pour être atteint avec l’AH Lorraina.
Alors qu’il lui confie ses rêves et ses doutes, Haava lui révèle une découverte qu’elle a constatée. Elle lui avoue discerner des ondes sonores particulières. Ces ondes ont une utilité qu’elle a vérifiée à l’occasion d’une sortie professionnelle. En activant une zone définie de son cerveau électronique, elle est en mesure de rejoindre la planète de son choix à la vitesse de la lumière.
— Oui, à la vitesse de la lumière ! Et là, je suis dotée d’une force décuplée. Lors de cette sortie, je me suis dirigée seule, sans moyen de transport autre que mon corps, vers un astre non prévu au programme dicté par Wotofi. J’ai vu qu’aucune trace de mon détour n’avait été perçue.
Cette révélation donne un espoir inouï à Adir. Quelques moments de réflexion et le voilà échafaudant leur projet de départ sans retour. Même si cette aventure présente des risques, Haava adhère. Pour mettre en place au plus vite l’organisation du premier essai du AH Lorraine, le chantier de construction devait s’accélérer. Cet essai leur offrirait le prétexte d’aller sur le pas de tir sans avoir à demander les autorisations d’usage pour quitter Nibiru. Ils travaillent d’arrache-pied afin de concrétiser rapidement leur entreprise. En parallèle, ils peaufinent leur projet de départ. Après quelques recherches, ils parviennent à cibler la planète qui leur semble idéale pour une vie nouvelle.
Le jour J, ils passent les points de contrôle sous le regard confiant des vigiles. Mais, au lieu d’avancer vers l’AH Lorraina prêt pour effectuer l’essai exigé par Wotofi, ils bifurquent en catimini. Vêtus de combinaisons renforcées, de scaphandres, simplement unis l’un à l’autre par un dispositif qui soude leurs deux corps, ils lancent le compte à rebours.
5, 4, 3, 2, 1, 0. Haava, qui s’est connectée à la cellule qui exécutera sa pensée, sent une force incompressible l’envahir. Accrochés ensemble, ils prennent de l’altitude à une vitesse astronomique. Enivrés par la rapidité de leur progression, ils traversent la galaxie. Quelques instants leur suffisent pour ressentir une turbulence. La couche dense qui les enveloppe se disloque peu à peu. Haava choisit ce moment pour réduire leur vitesse. Face à eux, des étendues bleues, vertes, d’immenses glaciers recouvrent la planète sur laquelle ils ont jeté leur dévolu. Ils n’ont jamais vu un astre d’une telle beauté. En approchant, ils identifient ce qui ressemble fort aux vestiges d’une ancienne civilisation : une longue muraille de matériaux empilés, surplombée d’une voie, une gigantesque carcasse de fer désarticulée, des pyramides de pierres. Émerveillés, ils ont la certitude d’avoir trouvé là la terre des ancêtres d’Adir. La nature a repris ses droits.
Ensemble, ils font le serment de respecter et faire respecter pour l’éternité ce joyau de l’espace où ils vont élire domicile.
Bravo, l’imagination était au rendez-vous. On aimerait connaître la suite.
Merci Brigitte pour ton commentaire. 6000 caractères, c’est court !