Le plus beau des cadeaux
Avachis sur le canapé, Cédric et Jonathan, les inséparables, regardent les clichés étalés devant eux. Jonathan, éprouve une certaine jalousie à la vision de ceux représentant ce bébé souriant. Sans plus réfléchir, il déclare :
— Tu sais, je ne peux pas t’en montrer des photos de moi à cet âge-là. Mes parents n’en ont pas. En fait, ils m’ont adopté.
Cédric n’en croit pas ses oreilles. Comment son copain a-t-il réussi à garder pour lui un secret aussi lourd ? Situation peu banale. Décidément, Jonathan n’est pas un enfant comme les autres. Cédric lui promet de ne pas le trahir. Jonathan s’affole. Que lui est-il passé par la tête ? Mais après tout, ils lui interdisent tout. C’est pas ses vrais parents, c’est certain. Il y pense souvent et voilà, c’est lâché.
Au même instant, Sabrina trotte, tête baissée. Ses talons résonnent sur l’asphalte. Quand cet enfant deviendra-t-il raisonnable ? Elle traverse à petits pas pressés la cour du collège. Le bureau de Madame Guillerme est encore éclairé. La principale l’attend. Sabrina avance dans le large corridor. Les deux femmes se retrouvent face à face. Assise sur le fauteuil qui lui a été proposé, la maman de Jonathan peine à reprendre son souffle. La pression l’étouffe.
— Madame Nicolas, je vous ai demandé de venir, car je dois vous relater un fait inadmissible dont Jonathan s’est rendu coupable. Il n’était pas seul d’ailleurs. Son copain Cédric était de la partie. Ils ont été surpris tous les deux à fumer dans les toilettes. Vous comprendrez que je ne peux laisser passer ça.
— Faites ce que vous avez à faire. Si, par bonheur, la sanction que vous envisagez lui servait de leçon ! Je ne m’en sors pas avec lui en ce moment.
— Et son père ?
— Nous avons du mal tous les deux, et mon mari travaille beaucoup.
Anéantie par la révélation de Madame Guillerme, Sabrina émet un soupir de désolation. À peine le seuil de la maison franchi, sans prendre le temps de retirer son manteau, elle grimpe quatre à quatre l’escalier menant à l’étage, vers la chambre de Jonathan. Elle le découvre les yeux fixés sur l’écran de sa console, les écouteurs dans les oreilles. Il n’entend pas sa mère entrer. Elle lui arrache ses instruments et devient enfin audible. Elle le force à se lever et le positionne face à elle. Son regard planté dans celui de son fils, elle lui assène :
— Voilà que maintenant, tu fumes !
— N’importe quoi !
— Tu m’exaspères. Ce soir, j’étais convoquée au bureau de Madame Guillerme !
— C’est pas moi, c’est Cédric.
— Ne mens pas ! Si je pouvais te renvoyer d’où tu viens ! Au diable, espèce d’ingrat ! Interdit d’écran pour huit jours !
Sabrina se reproche déjà cet excès de rage. Ses propos ont dépassé sa pensée, mais elle doit rester ferme.
— Même à mes séances à l’hôpital ?
— Tu prendras des livres.
La porte claque. Jonathan s’exécute à contrecœur. Il plonge sa tête sous son oreiller. Il ne veut plus rien entendre ni voir. Il ne désire qu’une chose : retrouver son copain. Demain, mercredi, Sabrina travaille. Les deux amis passeront l’après-midi ensemble. La maman de Cédric, comme elle est gentille ! Après leur rencontre de football, ils la rejoignent. Ça sent bon les crêpes dans l’appartement. Ils les dégustent, toutes tartinées de chocolat. Elle rit avec eux de leurs plaisanteries. Lorsque la nuit commence à tomber, Cédric raccompagne Jonathan sur une partie du chemin. Sa maman lui a demandé d’aller à la boulangerie. Ils entrent dans la boutique.
— Cédric, je te sers quoi ?
— Une baguette, s’il vous plaît.
— Toi, tu ne renieras pas ta mère ! Comme tu lui ressembles !
La remarque de la vendeuse ne laisse pas Jonathan indifférent. On ne lui a jamais dit cela à lui. Et si c’était vrai, que ses parents l’avaient adopté ? À regret, il rentre chez ceux qui lui servent de parents. Entre sa mère toujours stressée et son père souvent absent, ce pavillon n’inspire que la morosité. Les rires sont rares à la maison.
Le lendemain, après une matinée au collège, Jonathan rejoint une fois de plus l’hôpital pour quelques heures. Il a ses habitudes là-bas. Tout est rodé. Il emprunte le bus pour s’y rendre et le soir, sa mère le récupère en fin de séance. Il peste contre elle, qui n’a pas cédé. Il essaie de s’accrocher à la lecture de Croc blanc. Jack London a bien fait les choses, mais ça fatigue, la lecture. Et puis, ces traitements qui n’en finissent pas. Il observe le va-et-vient de son sang. Un sang tout coloré. Sans doute pas le même que celui de Sabrina et Rémi. Il décide de les appeler, dans sa tête, par leur prénom. Marie, l’infirmière, vient voir si tout va comme il le souhaite.
— T’as pas ta console aujourd’hui, Jonathan ?
— Je suis puni.
— Ta maman m’a raconté. T’es pas comme tes parents ! Eux, si attentifs à ta santé, et toi qui outrepasses les consignes. C’est pour ton bien. Tu le sais.
Encore une qui ne lui reconnaît aucune ressemblance avec eux. Jonathan, se dit-il, tu dois te rendre à l’évidence : Sabrina et Rémi t’ont adopté. Cela ne fait plus l’ombre d’un doute. Il faut absolument que tu recherches d’où tu viens, que tu retrouves tes vrais parents.
À la première occasion, Jonathan s’attaquera à une fouille minutieuse de la maison. Cédric, lui, habite dans un appartement. Au moins, c’est petit. Chez Jonathan, un immense labyrinthe ! Des endroits qui ne servent à rien. Un interminable grenier, un sous-sol à n’en plus finir. Une cave voûtée où son père entrepose des vins millésimés. Des pièces à vivre où l’on pourrait accueillir presque dix sans-abris. Et où plus personne ne vient, surtout depuis la découverte de sa maladie. Ils ont honte d’avoir récupéré un enfant en mauvaise santé. Ils préfèrent me cacher.
Les recherches de preuves sur sa naissance vont sûrement nécessiter beaucoup de temps. Il doit procéder par élimination. Ou plutôt réfléchir. Que doit-il trouver ? Des fiches d’état civil, par exemple. Il en a déjà vu. Sa mère en a eu besoin quand elle a fait établir son passeport pour un voyage professionnel. Il l’avait accompagnée dans ses démarches. Ensuite, à la place de Sabrina et Rémi, où planquerait-il ce qu’il ne veut pas montrer à tout le monde ? Lui, ses secrets, il les cache dans une boîte au fond de son placard de chambre. Ce serait dans leur chambre ? Il commencera par là. Il faut que la voie soit libre. Ce n’est pas trop compliqué vu que lorsqu’il ne se rend pas à l’hôpital, il rentre de l’école en premier. Rapidement, le moment opportun se présente. Jonathan se dirige vers le dressing. Il ouvre les portes. Il tire les tiroirs. Il écarte les vêtements. Rien ne traîne. Aucune boîte. Rien du côté de Sabrina, rien du côté de Rémi. Les tables de nuit : rien non plus. Tout est tellement bien rangé que si ce qu’il cherche se trouvait dans cette pièce, ça lui sauterait aux yeux.
Tout à coup, une idée. Dans le bureau paternel : le coffre-fort, bien sûr ! Cette piste-là ne sera pas la plus aisée. Il faut qu’il leur tende un piège. Le vendredi soir, Rémi rentre toujours avant Sabrina. Il suffirait que Jonathan fasse croire à son père qu’il s’intéresse à sa bibliothèque pour passer un peu de temps à ses côtés. Il finira bien par composer la combinaison du coffre devant lui, si Jonathan reste patient. Dans ce cas, il s’absentera juste un instant pour descendre trafiquer l’ouverture automatique de la porte du garage. Sa mère dit souvent qu’un jour ou l’autre, le système cédera. En rentrant, comme elle ne pourra plus fermer, Rémi devra aller l’aider au sous-sol. Son père en bas, Jonathan aura le champ libre pour accéder au coffre. Son plan lui semble réalisable.
Le vendredi suivant, rien ne se passe comme prévu : sa mère est arrivée avant son père. Il lui faudra attendre près d’un mois pour parvenir à ses fins. Ce soir-là, victorieux, il empoigne un document avec des caractères chinois. Il ne peut s’agir que de cela ! Ne lui dit-on pas qu’il a les yeux en amandes ? En cours de géographie, le prof l’a pris comme exemple dans la classe pour expliquer le physique des Chinois. Selon la région du monde où on a ses origines, les traits du visage diffèrent. Tout comme la peau. En Afrique, on est noir. En Europe, on est blanc. Il ne reste plus à Jonathan que de trouver un interprète. Il connaît un commerçant chinois dans le quartier. Il parviendra facilement à se procurer une traduction.
Les pas dans les escaliers le ramènent à la réalité. Il enfouit le papier dans une BD et part dans sa chambre sans être inquiété. Il entend son père :
— Ne te bile pas, chérie, c’est bon pour cette nuit. La porte tiendra. Demain, j’appelle l’installateur pour qu’il règle le problème.
— Il est où Jonathan ?
— Si tu savais comme je suis heureux. Il a encore passé plus d’une heure avec moi dans le bureau ce soir. En plus, il semble s’intéresser à mes bouquins. Ça me fait vraiment plaisir.
— Je dois lui dire, maintenant, pour le rendez-vous à l’hôpital.
À la date convenue, le docteur Roux accueille Jonathan accompagné de Sabrina et Rémi. D’emblée, il s’adresse à l’adolescent :
— Jonathan, tes parents et moi-même avons une grande nouvelle à t’annoncer.
Jonathan sent son cœur s’accélérer dans sa poitrine. Que va-t-on lui apprendre ? Le professeur poursuit :
— Ta maman, qui t’a donné la vie, a décidé à présent de te faire cadeau d’un rein. Elle a subi tous les examens nécessaires pour permettre cette transplantation. Tu peux être fier d’elle. Ces dernières semaines ont été éprouvantes, car l’absence de greffon l’angoissait terriblement.
Sabrina saisit alors tendrement la main de Jonathan. Il comprend enfin pourquoi sa mère était toujours irritée. Dommage qu’elle ait exprimé son inquiétude par des excès de colère. Malgré le soulagement qui s’empare de lui, Jonathan se demande comment rétablir la vérité sans perdre son crédit auprès de Cédric qui a vraiment gobé son histoire. Il a su le convaincre puisque lui-même y croyait dur comme fer. Et le document en chinois ? Jonathan ne tardera pas à découvrir qu’il s’agissait simplement d’un titre au porteur émis à Hong Kong, détenu par son père.
une histoire qui nous tient en haleine, et dont la chute est fort heureusement porteuse d’espoir. J’ai adoré. Les tournures de phrases, le vocabulaire, le rythme tout est judicieusement choisi. 🙂
Marie Josée
Merci Marie Josée ! Malgré tout, ma nouvelle n’a pas plu au jury. Histoire trop banale, m’a-t-on dit.