Inaccessible Vérité
Parvenu en haut de la montagne, le Prince Amine, fatigué, prend appui sur un rocher près de l’entrée d’une caverne. Soudain, des grognements retentissent à ses oreilles. Il pénètre à l’intérieur de la grotte d’où proviennent ces bruits.
« Enfin ! De la visite !, lui assène une voix chevrotante.
— Où êtes-vous ?
— Juste face à toi. Attends. Je vais m’approcher de la lumière.
— Oh !
Un cri d’effroi s’échappe de la bouche d’Amine, à la vue de la vieille, décharnée, édentée, couverte de pustules, puante, qui se présente à lui.
— N’aie pas peur mon enfant. Je ne te veux que du bien.
— Qui êtes-vous, Madame ? Vous vivez là depuis longtemps ? Seule ?
— Je suis la Vérité.
— La Vérité ? Mais je vous cherche depuis des années… Las de ne pas vous trouver, je voulais renoncer, en m’isolant en haut de cette montagne. Mais comment puis-je être sûr que vous êtes bien la Vérité ?
— Je t’attendais. Je savais que tu voulais me retrouver. J’en connais les raisons. Je sais tout de toi.
La vieille énonce à voix haute les motivations du jeune homme :
— Il y a bien longtemps, alors que tu parcourais tes terres, ton chemin croisa celui d’une paysanne. Aussitôt, ton cœur s’emballa. Méritait-elle un tel intérêt ?
— Sans aucun doute. La pureté incarnée ! Je rendis rapidement visite à son père afin de demander la main de sa fille. N’importe quel père me l’aurait accordée sans condition, à moi, Prince puissant et vertueux. Or, ce père aimant me promit de consentir à ma demande, si je retrouvais la Vérité.
— Et tu t’es mis en quête de me retrouver… Me voilà face à toi. Je sais que ton chemin a été semé d’embûches et de faux-semblants.
— Le mensonge, oui, je l’ai souvent affronté, confie Amine, songeur.
— Ta persévérance est récompensée.
— Partout où je suis passé, j’ai demandé si on vous avait rencontrée. Les réponses ont toujours été les mêmes : « La Vérité ? Il y a bien longtemps que l’on ne l’a vue ! » ou bien « On ne l’a jamais rencontrée ! »
— Il est vrai que j’ai rarement été visitée, et ce, de moins en moins avec le temps.
— Même mes amis n’ont pas été sincères avec moi. Ils m’ont fait croire depuis ma plus tendre enfance que j’étais le plus riche. Alors que je chevauchais à travers les monts et les vaux à votre recherche, une halte dans un pays lointain a été pour moi l’occasion de faire la connaissance d’un Roi, souverain d’un Etat cent fois plus vaste que le mien, riche de joyaux incommensurables. Je n’avais jamais vu autant de diamants, de rubis, d’émeraudes qu’entre les mains de cet homme. L’or coulait à flot dans son royaume. Mes amis m’avaient menti !
— Ils t’ont encensé parce qu’ils voulaient te faire plaisir, peut-être. Qu’en penses-tu ?
— Ils m’ont encensé pour mieux m’acheter. Et je n’étais pas avare de cadeaux, avoue le Prince.
— Je te félicite pour ta clairvoyance.
— Ensuite, les plus grands architectes de mon pays se sont affrontés, se sont déchirés, se sont critiqués, lorsque j’ai voulu choisir le meilleur d’entre eux pour me construire le plus beau et le plus vaste des châteaux. Aussitôt désigné, le bâtisseur se mit au travail. Il me construisit un édifice certes somptueux, mais sans âme.
— Ton orgueil n’a pas joué en ta faveur, insinue la Vérité.
— Effectivement. De plus, dans mes pérégrinations, j’ai visité des châteaux aux mille cheminées, aux multiples tourelles, construits sur des hauteurs inégalées, aux donjons imprenables, aux sculptures d’une finesse extrême. De la dentelle parfois ! Devant certains, les larmes me sont montées aux yeux devant tant de beauté.
— Ton architecte aussi t’a trompé.
— Il a voulu me faire payer le prix fort.
— Il a surtout voulu se faire valoir, réplique la Vérité.
— Puis, mon peuple m’a fait croire qu’il n’y avait nulle part ailleurs un ciel aussi étoilé que le nôtre. Pour être étoilé, il l’est. Mais j’ai trouvé plus majestueux loin de chez moi.
— Raconte…
— Certaines nuits, dans le Grand Nord, s’élèvent dans le ciel noir, des volutes immenses, vertes, bleues, roses, dansant au son d’une musique qu’elles s’inventent. Le spectacle est grandiose et nos multiples étoiles ne peuvent rivaliser, s’exclame Amine.
— Ton peuple aussi t’a menti.
— Il a peut-être voulu me flatter d’être à la tête d’un pays admiré par des milliers d’étoiles.
— Qui sait ?
— Voyez-vous, pour de multiples raisons que je ne peux pas toutes vous raconter dans le détail, car ce serait trop long, je n’ai rencontré que le mensonge. Maintenant que je vous ai trouvé, je suis le plus heureux des hommes. Je vais enfin pouvoir épouser la femme que j’aime. M’aura-t-elle attendu ? s’interroge le Prince.
— Garde l’espoir. Si sa pureté est telle que tu la perçois, elle te sera restée fidèle.
— Je vais rentrer chez moi, à présent. Mes premiers pas me dirigeront vers le père de l’élue de mon cœur. Puis, je raconterai à qui voudra l’entendre ma rencontre avec la Vérité. Mais, ils vont m’interroger sur vous. Ils vont vouloir connaître ce qui fait votre vie. Que puis-je leur dire ?
— Alors, s’il te pose des questions me concernant, soupira-t-elle, dis-leur que je suis jeune et belle. »
Conte entendu sur l’application Petit Bambou : le mensonge de la vérité.
La quête de la Vérité est un thème fort que tu racontes ici avec beaucoup de clairvoyance. La chute est surprenante et invite à la réflexion sur la Vérité ou le Mensonge, entre les deux le coeur et la raison balancent 🙂
Merci Marie-Josée pour ton commentaire. Hé oui, ce n’est pas si simple que cela de manier la vérité !