Fragments

10 septembre 2018 0 Par Nadine Rudigier Panella

FRAGMENTS – C4F : utiliser tous ses sens

1) Scène intérieure
Une chaude après-midi de dimanche, début de l’été. Les rayons du soleil embrasent ma peau. Je ressens un besoin intense de fraîcheur.
Par chance, aujourd’hui est organisé à la Cathédrale Notre Dame un concert. Double intérêt : le War Requiem de Benjamin Britten et l’atmosphère tempérée du lieu.
Après avoir garé notre voiture à l’ombre d’un tilleul dont les effluves inondent le quartier, nous voilà, bras dessus, bras dessous, nous dirigeant vers l’édifice religieux où je fus baptisée un 15 août. La douceur de ta peau contre la mienne me fait oublier quelques instants la brûlure du soleil.
Nous abordons la Cathédrale et pénétrons à l’intérieur. Ce bâtiment d’une extrême sobriété est inondé de lumière.
Le public prend place dans la nef. Un brouhaha couvre toutes les conversations.
Je profite de l’attente qui s’offre à moi avant le début du concert pour admirer l’architecture du monument où les styles roman, gothique et baroque s’entremêlent avec bonheur. La hauteur de la voûte m’impressionne. Mon regard se dirige vers le buffet d’orgue qui surplombe le choeur occidental du bâtiment orné d’une rosace multicolore et qui expose son éclat sans retenue. Les dorures de la balustrade étincellent de tous leurs feux. Ma ville recèle de trésors.
Puis je m’attarde sur les visages qui m’entourent. J’en reconnais un certain nombre et me dis, une fois encore, qu’être physionomiste n’a pas que des avantages. Ainsi, saluer et ne pas avoir de réponse a tendance à me mettre mal à l’aise.
Entre mes mains, je sens le papier glacé du programme. Je prends connaissance de son contenu. Je ne devrais pas être déçue.
Enfin, les musiciens et les choristes font leur entrée et s’installent sur la scène. Une salve d’applaudissements retentit, puis le silence s’installe pour laisser place au mot d’accueil prononcé par le président de l’association organisatrice.
Le concert débute. Un choeur d’hommes aux accents mélodieux s’élève. Il est ponctué par le lent tintement du glas qui résonne dans l’édifice. Ensuite, prend place en solo un ténor à la voix chaude. Un baryton s’incruste dans le récital, bientôt suivi d’une soprano à la voix cristalline. L’orchestre émet un feu d’artifice de sons sans cesse renouvelés. Tous maîtrisent parfaitement leur art et se succèdent au rythme imposé par les partitions.
J’ai le sentiment que le temps s’est arrêté pendant toute la durée du concert. J’ai pu vivre sans difficulté l’instant présent, baignée dans l’odeur enveloppante de ma crème solaire au goût d’abricot, à la fois acide et liquoreux, que je me suis appliquée en début d’après-midi

2) Scène extérieure
C’est le début de l’été. Comme chaque année, je vais partir pour près d’un mois en vacances chez ma marraine en Belgique. Tout le long du voyage, je sens une très forte angoisse qui se manifeste par une sensation de boule au ventre, beaucoup d’appréhension malgré le plaisir de retrouver mes sept cousins et cousines, mon oncle et ma tante. Cela fait beaucoup de monde pour moi qui suis habituée, au quotidien, au cercle restreint familial composé de mes parents, de ma sœur et de moi-même.
Nous arrivons et sommes accueillis chaleureusement dans ce petit village de Wallonie. Même le chien Teddy fait partie du comité d’accueil. La porte de la maison est toujours largement ouverte au sens propre comme au sens figuré. Mon oncle trône sur le palier qui surplombe quelques marches d’escalier. Ma tante affairée au fin fond de la maison le rejoint pour nous recevoir.
Nous franchissons le seuil de la maison. A cette époque, peu de familles possèdent un téléviseur. Et là, dans le salon, c’est comme ça tous les soirs d’été chez ma tante, mes cousins sont entourés des copains du village venus regarder une étape du Tour de France. Tous les regards sont tournés vers le petit écran qui, à cette occasion, fait la part belle aux plus beaux paysages de France. Ils sont près d’une vingtaine et l’ambiance est très gaie. Les échanges se font à la fois en français et en wallon, et ça rit et ça plaisante. Notre arrivée interrompt quelque peu la séance juste le temps de dire bonjour aux Français attendus et surtout aux deux petites Françaises, ma sœur et moi, adolescentes, qui ne laissons pas indifférents certains de la bande. Les trois bises traditionnelles sont distribuées par les uns et les autres. Certaines se font plus sensibles que d’autres sur la peau quand elles accompagnent le regard bleu appuyé d’un blondinet plein de malice.
Les odeurs de café et de cigarettes se mélangent dans cet espace surpeuplé pour l’occasion. Ma tante a prévu pour notre arrivée de nous servir une délicieuse tarte au riz, spécialité de la région, onctueuse et sucrée. Tout le monde est convié à ce partage.
Mes cousines, les coquettes qui se sont préparées avec soin pour notre venue, se joignent à l’assemblée. Leurs parfums diffèrent du parfum ambiant. Ils exhalent des senteurs aussi légères que leurs tenues d’été, savamment cousues par ma tante.
La famille est au complet. La maison de ma tante est le centre du monde ce jour-là encore.

3) Auto-analyse des 2 fragments
– Même au présent, la référence au passé s’invite. Pas par goût de la nostalgie, mais parce que le passé fonde le socle d’une personnalité et que le présent reste une valeur constante.
Les lieux chargés d’histoire, les lieux mystiques, les jardins qui les entourent, sont l’occasion de descriptions d’un patrimoine architectural riche. Une admiration sans bornes pour ces édifices s’exprime à toute occasion.
La présence de l’autre est essentielle, que l’autre soit la compagne ou le compagnon ou qu’il soit l’inconnu rencontré occasionnellement, mais reconnu. L’intérêt porté aux autres se manifeste par une capacité à reconnaître trop facilement un visage seulement croisé, même une seule fois et la déception de ne pas être soi-même reconnu.
Les arts -ici la musique-, l’esthétisme sont des sujets prétextes à des développements.
Suggérer une ambiance, la dépeindre le plus précisément possible est également indispensable pour partager avec le lecteur la scène évoquée.
Tous ces thèmes favorisent une introspection censée donner plus de profondeur à une histoire.

– Le passé est forcément là puisqu’il s’agit de se remémorer un lieu de son enfance et des sensations éprouvées.
Une enfance riche de souvenirs sur le plan émotionnel, peut-être gage de sensibilité, facilite l’introspection. La description d’un état d’esprit est présente, même si elle peut être encore davantage développée.
La place des autres est réelle par l’évocation de situations banales.
Le dépaysement lié à la culture d’un autre pays, même s’il est très proche, existe cependant. Le sens de l’accueil et du partage, une ambiance enjouée en sont les principaux ingrédients.
Une part est laissée à l’instant présent et à la faculté d’émerveillement même face à un contexte retraçant la vie de tous les jours.

4) Réutiliser dans un seul fragment les fruits de l’auto-analyse
Prendre le temps, fouiner de-ci de-là, se perdre dans les herbes folles ou suivre des chemins bien tracés, dans les parcs et jardins tout est possible. Une escapade dans la verdure !
C’est lors d’une sortie que m’avait organisée lorsque j’étais enfant ma tendre marraine dans les jardins d’Annevoie que ma sensibilité aux beautés de la nature, et plus particulièrement à celle des végétaux que l’on peut découvrir dans ces endroits, m’a été révélée. Et depuis, à chaque occasion qui se présente, je ne manque pas de visiter ces lieux qui offrent des décors multiples.
Ma dernière trouvaille n’est liée ni à un château majestueux, ni à une abbaye de renom, ni au centre d’une ville qui avait besoin de végétation pour que ses habitants puissent y respirer sereinement. Non, ce simple jardin, lieu enchanteur, a été créé de toutes pièces par un être solaire qui partage avec bienveillance son univers, une amoureuse des essences les plus simples produites par sa terre, son environnement.
En cette journée nationale de visite des parcs et jardins, je me suis retrouvée à cet endroit, entourée d’amis et d’autres visiteurs. Une sono diffuse discrètement un air d’opéra semblant être repris en choeur par le chant des oiseaux.
C’est en laissant pousser en toute liberté les plantes sauvages qui avaient choisi de se nicher là que tout a commencé pour la créatrice de cet écrin de verdure. Un tapis d’espèces naturelles qui resplendit dans la lumière de rayons de soleil transperçant les feuillages des tilleuls odorants. Et des odeurs, il y en a !
Afin de compléter l’oeuvre d’art végétale de Dame Nature, la maîtresse des lieux a façonné à son image ce tableau empreint de raffinement et d’élégance. Elle a disposé avec délicatesse quelques variétés de rosiers et nous fait humer les différents parfums qui s’en dégagent. Le groupe progresse au hasard des allées improvisées pour découvrir l’arôme proche de la noix de coco de la rue des jardins. Puis, des nuances de menthes se livrent serpentant le sol comme une broderie végétale. Elles exhalent des senteurs poivrées ou citronnées. C’est au tour des sedums d’exhiber leurs touffes dressées pour être admirées tant leur floraison est abondante. Arrivés au seuil d’une minuscule clairière, nous rencontrons une nuée de papillons aux couleurs de l’été qui butinent les bouquets d’origan. Soudain, je sens contre ma cheville l’effleurement d’une fourrure légère : c’est le chat de la maison qui s’infiltre parmi les visiteurs pour mieux faire connaissance.
La visite du jardin aurait pu s’arrêter là. Cependant, elle se poursuit. Nous franchissons le seuil d’une tonnelle, bâtie en harmonie avec l’environnement, dans laquelle nous sommes invités à prendre place. D’autres effluves nous sont délivrés. La propriétaire du domaine a bien des cordes à son arc et en sa qualité de nez, elle nous fait découvrir les six fragrances de base des parfums dans sa bulle olfactive. Autre moment magique !