L’amitié trouve toujours son chemin

L’amitié trouve toujours son chemin

3 décembre 2021 0 Par Nadine Rudigier Panella

« Ah ! Mamie m’attend. Elle me guette derrière ses carreaux ! » se dit Louise en apercevant sa grand-mère à la fenêtre, alors qu’elle franchit le portail du jardin.

Chaque lundi après la classe, Louise vient passer la fin d’après-midi chez elle. Elle aime beaucoup la retrouver. Elle lui raconte ses petites histoires. Seule Mamie sait faire du bon chocolat chaud ! Et ses gâteaux, y’a rien de meilleur ! Comme elles sont bien toutes les deux, à discuter et à rire aux éclats, assises côte à côte sur le canapé moelleux du salon.

Mamie a toujours quelque chose à dire et elle en pose des questions ! Quelle curieuse !

« Tu ne me parles plus de Rachid. Il n’y en a plus que pour Pierre ces derniers temps, s’étonne Mamie ce jour-là.

— Je ne lui parle plus.

— Comment est-ce possible ?

— Tu sais, Mamie, Pierre est allé chez lui. C’est tout moche, qu’il m’a dit. Ses parents ne savent pas lire. Tu te rends compte : il est pauvre !

— Et alors ?

— Pierre me dit que je n’ai rien à faire avec lui.

— Je n’en crois pas mes oreilles ! Tu te laisses influencer par Pierre au point de mettre de côté Rachid alors qu’une belle amitié s’est nouée entre vous ! Et sous prétexte qu’il est pauvre ! »

Et Mamie enchaîne :

« Ma chérie, je vais te raconter ce qui m’est arrivé lorsque j’avais à peu près ton âge. J’étais au collège et j’avais deux grandes amies : Isabelle et Alma. L’une comme l’autre étaient très bonnes élèves. Isabelle venait d’un milieu dans lequel on l’aidait beaucoup. Ses parents étaient professeurs. Quant à Alma, ses parents avaient fui leur pays dans lequel la liberté n’existait pas, où les gens risquaient d’être emprisonnés juste parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec les gouvernants. À leur arrivée ici, ils ne parlaient pas français. Le papa travaillait dur et rentrait fatigué le soir. Pour arrondir les fins de mois, la maman faisait des ménages. Alma ne pouvait compter que sur elle-même pour progresser en cours. Elle travaillait énormément avec beaucoup d’énergie et de volonté.

Moi, j’étais une élève moyenne. Il n’y avait que la danse classique qui m’intéressait. D’ailleurs, comme tu le sais, j’en ai fait mon métier. Qu’elles soient l’une et l’autre bien meilleures que moi m’importait peu.

Alma travaillait tellement qu’elle obtint la première place dans le classement des élèves. Oui, parce qu’à mon époque, il y avait un classement. Les professeurs ne nous citaient plus qu’Alma en exemple. Imagine la colère d’Isabelle !

Pour se venger, elle a tout fait pour que je ne parle plus à Alma. Alma était mon amie et il n’était pas question pour moi que je cède aux caprices d’Isabelle. Or, elle me fit du chantage :

Si tu continues à parler à Alma, je n’irai pas à ton gala de danse !”

J’étais bouleversée. Déjà qu’Alma ne pouvait pas participer, qu’Isabelle décide de ne pas venir, c’était trop pour moi. Malgré tout, je continuais à voir Alma. Isabelle en mit une deuxième couche.

Tu sais ce que raconte Alma sur toi ? Si ta prof t’a choisie pour être la Clara du ballet de Casse-Noisette, ce n’est pas parce que tu danses mieux que les autres, mais parce qu’elle est amie avec tes parents et qu’ils l’invitent souvent.”

Alma était capable de dire des mensonges pareils ! J’étais profondément déçue, mais ravalai mes larmes. Ma rancœur contre Alma montait, montait. Isabelle s’en aperçut aussitôt et poursuivit :

Tu te rends compte comme c’est méchant. J’ai une idée, mais il faudrait que tu m’aides. 

J’étais méfiante.

— Je m’occuperai de tout, me confia-t-elle et tu n’auras qu’à dire comme moi, si on te questionne.”

Le lendemain, nous avions une interrogation écrite en histoire. À la fin de l’exercice, Isabelle se porta volontaire pour ramasser les copies. Elle glissa dans celle d’Alma des notes qu’elle avait préparées reprenant les idées principales de la leçon. Elle avait imité l’écriture aux lettres bien arrondies d’Alma. Notre professeur n’y vit que du feu. C’était une évidence : Alma avait triché. D’ailleurs, comment une enfant venue d’un milieu défavorisé pouvait-elle avoir d’aussi bons résultats scolaires ?

J’ai tout compris quand notre professeur a rendu les copies. Elle s’est adressée sévèrement à Alma, l’accusant d’avoir copié, levant haut sa main dans laquelle elle tenait, à la vue de tous, les preuves. Je me suis tournée vers Isabelle. J’ai vu dans son regard la satisfaction d’avoir réussi son coup.

Alma fut convoquée par le directeur du collège. Bien qu’elle se fût défendue et eût rejeté en bloc ce qui lui était reproché, les autres professeurs, informés, commencèrent à douter d’elle. Elle a perdu sa première place, au bénéfice d’Isabelle qui était toute contente.

Je n’étais pas à l’aise. J’avais des remords. On ne m’avait rien demandé, mais de connaître la vérité, ça ne me plaisait pas.

Mamie s’interrompit. Louise s’étonnant de son silence, lui demanda :

« Pourquoi tu me racontes ça, Mamie ?

— Lorsque tu étais bébé, j’ai eu de graves problèmes de santé. J’ai été hospitalisée. Quand je me suis trouvée face à la cheffe du service dans lequel j’étais soignée, je l’ai reconnue instantanément. Elle aussi m’a reconnue. C’était Alma. On s’était perdues de vue quand ses parents ont quitté la région. À force de travail, elle est devenue médecin. Devant elle, je pouvais être fière d’avoir rétabli, à l’époque, la vérité concernant cette histoire de tricherie. Ne pas réagir face à cette injustice était devenu impossible pour moi. Je suis allée voir notre professeur et lui ai dit ce que je savais. Elle nous a réunies toutes les trois. Alma qui n’avait rien à se reprocher est restée sur sa position, tandis qu’Isabelle a nié avoir tout manigancé.

Isabelle m’en a voulu. Tant pis. Le trimestre suivant, Alma reprenait la première place qui n’aurait jamais dû lui être retirée. Depuis nos retrouvailles, on se voit souvent avec Alma. Tu sais, Alma, dont je te parle parfois ?

Louise, pensive, renforcée dans ses sentiments, soupira d’aise :

— Demain, j’irai parler à Rachid. Il sera toujours mon ami. »