L’ombre de moi-même
À quoi bon nier ? Mais j’avais mes raisons !
À ce moment précis, harcelée de questions par ce policier aux accents agressifs, assise dans ce bureau aux murs défraîchis, j’aurais voulu être à cent pieds sous terre.
La journée avait bien commencé : le soleil brillait, les hirondelles allaient et venaient. Un sentiment de liberté s’était emparé de moi. L’envie me prit soudain de marcher dans les rues commerçantes de ma petite ville de province.
D’un pas décidé, je me revois arpenter à grandes enjambées les cent premiers mètres de l’artère principale. Au loin, j’aperçois un visage qui ne m’est pas inconnu. Je m’arme de mon plus beau sourire pour l’accueillir comme il se doit. Aucune réaction en contrepartie ! Elle ne m’a pas reconnue ! Je n’y crois pas ! Déçue.
Alors que les effluves émanant d’une parfumerie embaument l’air ambiant, j’entends derrière moi un sifflement régulier. Je me retourne, m’écarte juste à temps pour éviter un blouson qui rase le mien à vive allure. Une trottinette !
« Excusez-moi, Madame, je ne vous avais pas vue ! », me lance l’adolescent en pleine vitesse. Quel toupet !
J’arrive au point central. Mon regard est attiré par quelques vitrines exhibant des tenues printanières. J’avance gaillardement droit devant moi. Soudain, je suis stoppée net dans mon élan. Surgit une masse toute de gris vêtue, sur le point de m’écraser. Il va me broyer les pieds ! Quelle idée de marcher à reculons sur un trottoir fréquenté ! Qu’il se retourne pour saluer cette jeune femme, soit, mais qu’il le fasse en se déplaçant, quel sans-gêne ! J’ai juste le temps de hurler :
« Halte ! Je suis derrière vous ! »
Il se confond en excuses lui aussi.
Dans ma tête, la colère monte. Marre de passer inaperçue ! Il est vrai que je suis de taille moyenne, brune, mince. Les coloris de mes vêtements ne sont certes pas flamboyants et leur coupe est classique. J’ai peut-être une certaine responsabilité dans le comportement de mes congénères vis-à-vis de moi.
Sans réfléchir, je pénètre dans la première boutique de prêt-à-porter qui se présente à moi. Ils veulent des couleurs, ils vont en avoir !
Mon bonjour à l’entrée dans le magasin ne reçoit aucun écho. La vendeuse encaisse la note d’une cliente volubile qui prend toute la place. Je déambule d’un rayon à l’autre. Un magnifique pull rouge scintillant et un pantalon écossais atterrissent dans mes bras. En avant, vers la cabine d’essayage. Mon reflet dans le miroir n’est pas pour me déplaire. Ravie de mes choix, je me dirige vers la caisse à l’avant du magasin. La vendeuse vaque à ses occupations au fond de la boutique, puis se rend vers l’arrière-boutique. Les minutes s’égrainent. Je patiente. Vais-je être obligée de l’interpeller pour qu’elle s’intéresse à moi ?
Ni une ni deux ! J’empoigne mes vêtements et sors de la boutique sans payer. On va peut-être enfin me voir !
« Au voleur ! » résonne dans ma tête une voix féminine. Manque de chance : face à moi deux policiers !
C’est ainsi que je me suis retrouvée au poste de police pour la première fois de ma vie. Si ma mère me voyait !
Après avoir expliqué mon geste les yeux baissés, j’ai compris par le fou rire qui s’est emparé des deux fonctionnaires de police hilares que mon affaire serait classée sans suite. Je pouvais alors exprimer un ouf de soulagement.
Belle histoire ! Marre d’être transparente. Méthode un peu radicale, mais très drôle.
Merci pour ce bon moment de lecture
Nadiège
Très drôle !
Sympathique comme tout. Et cela donne le sourire au moins.
Merci
Nicole
très amusant car j’ai ressenti des similitudes avec certains moments de ma vie. Je n’ai jamais eu l’audace de partir sans payer, même si l’envie ne m’a pas manqué !
Passer de l’ombre à la lumière crue d’un poste de police, n’est en effet pas évident, même si l’on comprend la motivation de la narratrice. Une histoire écrite avec beaucoup d’émotion, d’humour, et de plus, très positive, puisqu’elle se termine bien !
Une construction bien ficelée. Cette manière de faire une boucle entre le début et la chute permet de capter l’attention du lecteur et de créer une intrigue vivace. Belle idée que tu as eu là. Je viens d’avoir un agenda ironique de novembre sur le thème de l’ombre. Ta nouvelle aurait pu y participer.