Moi, une sibylle (Nouvelle d’inspiration biographique)
Je vois dans mon rêve un chien en peluche. C’est un petit chien. Son pelage est d’un brun très clair, ses yeux ronds noirs sont d’une tendresse infinie. Je ne suis pas fan de peluches, mais celle-ci semble vouloir m’adresser un message. Cette rencontre onirique a lieu dans ma ville, sur une route que j’emprunte chaque jour. Une fois encore me voilà sous l’emprise d’un ressenti que je ne peux m’expliquer.
Il est vrai que mon père voulait me donner pour prénom « Sibylle » , celui d’une vieille dame qu’il avait connue, lorsque, pendant la dernière guerre mondiale, sa famille s’était réfugiée en Creuse, berceau natal de ma grand-mère. Mais, comme dans la majorité des foyers, ce sont les mères qui finissent par faire le choix du prénom de leurs enfants, je ne me prénomme pas Sibylle. Voulait-il par ce souhait que je bénéficie de certains dons de cette personne ? Peut-être…
Toujours est-il que des faits vécus depuis ma plus tendre enfance m’interpellent. Je me revois petite dans mon lit, à l’heure de la sieste. Au travers des persiennes, la lumière jaillit et là, un être céleste, une sorte d’elfe vient me rendre visite, volette ici et là dans ma chambre. Ses ailes lumineuses et transparentes frétillent sous l’effet d’un appel d’air murmuré par une légère brise. C’était assez fabuleux et suffisamment prégnant pour qu’aujourd’hui encore je m’en souvienne.
Plus tard et tout au long de ma vie, je n’ai eu qu’à me louer des interventions soudaines de mon ange gardien. Combien de fois m’a-t-il porté secours, surtout dans le cadre professionnel ? Il s’immisçait tout à coup dans mon esprit et me rappelait in extremis telle information importante que j’avais oubliée. Cela tombait à point pour éviter de potentielles situations délicates.
Puis, il y a eu ces sensations bizarres, le sentiment de percevoir la mort. Et quand cela survient, insiste, est omniprésent et que, quelques jours plus tard, vous apprenez qu’une chère cousine a été retrouvée dans son lit, sans vie, décédée depuis plusieurs jours, ça perturbe quelque peu.
Et cette peluche qui me hante des jours durant. Ainsi, pendant les années qui ont suivi la survenue de ce rêve, à chacun de mes passages à cet endroit, je n’avais en tête qu’une certitude : un jour, il se passera quelque chose, là. Serait-ce un événement heureux ? Serait-ce un drame ? Cela me concernerait-il ou pas ? Je n’en avais aucune idée.
Puis le quotidien a repris ses droits, les jours se sont égrainés jusqu’à ce matin-là où nous avons décidé ma sœur et moi d’aller marcher en forêt. Nous passons un bon moment, le temps est agréable, la nature resplendit en ce printemps naissant. Notre randonnée prend fin et je reconduis ma sœur chez elle. Arrivées à proximité de sa demeure, le tintement de la jauge d’essence de ma voiture m’avertit que je roule dorénavant sur la réserve. Comme dans tout véhicule bien constitué, ce signal indique qu’au moins une trentaine de kilomètres peuvent encore être parcourus, sinon plus. D’ailleurs, mon véhicule m’a habituée à cela. Je dépose ma sœur chez elle et repars chez moi. Ma maison se situe à environ quatre kilomètres. J’irai donc faire le plein d’essence dans l’après-midi. Je roule, je roule, je passe devant une station service située sur mon itinéraire sans m’arrêter. Et un peu plus loin, proche de l’endroit où se déroulait la scène vécue dans mon rêve, ma voiture hoquette et s’immobilise.
« C’est le bon moment ! » Il est midi. Heure de pointe. Lieu particulièrement encombré. Configuration extrême ne laissant aucune chance à celui qui tente de dépasser. En effet, les faits surviennent à la sortie d’un rond-point, à l’entrée d’un pont qui enjambe les lignes de chemin de fer, route sinueuse, étroite, sans visibilité. « Je bloque toute la ville ! »
Je panique et intérieurement, mes pensées se bousculent. « Comment me sortir de cette ornière ? Moi qui n’ai qu’une chose en tête : passer inaperçue, j’ai tout gagné. C’est la honte ; pourvu qu’on ne me reconnaisse pas ! Et tous ces gens qui sont stoppés à cause de moi ! Ils doivent exploser de colère, m’injurier dans leur habitacle. »
Et là, je suis consciente que ce n’est pas un cauchemar. Je suis dans la vraie vie. Je ne vais pas me réveiller. Je suis tétanisée. Je n’ose pas regarder ce qui se passe dans mon rétroviseur. De temps à autre, une voiture parvient à se frayer un passage et me dépasse.
Un jeune homme tente cette manoeuvre et s’arrête à mon niveau.
Vous n’allez pas rester là ! On va vous incendier !
Mais, que faire ? Je suis en panne !
Par chance, la route est bordée par une piste cyclable matérialisée sur un trottoir. Le garçon gare son véhicule un peu plus haut et propose de pousser le mien sur la piste cyclable. A lui seul, la tâche semble ardue, le trottoir étant particulièrement surélevé. Du magasin bordant la route sort une personne qui lui vient en aide.
A mon grand soulagement et à celui des automobilistes coincés, la route est enfin dégagée. Il s’agissait bien d’une panne d’essence. Le signal de la jauge était défectueux.
Je remercie chaleureusement mes deux sauveurs. Le plus jeune rejoint son véhicule car le temps presse pour lui.
Le plus âgé me propose d’aller chercher à la station service le carburant qui me permettra de repartir. En l’attendant, je me dis qu’avoir été obsédée pendant des années par ce lieu pour une panne d’essence, c’était un peu fort.
Le voilà revenu et s’instaure entre nous un dialogue qui se conclut par une invitation.
Le jour fixé, il se présente chez moi un cadeau dans les mains.
Ravie de recevoir un présent, je déballe le paquet qu’il me tend : un petit chien en peluche, le portrait exact de celui de mon rêve ! Cet événement me sembla de bonne augure !
Comme prédit, ce fut le début d’une bien belle et longue histoire.
Pourtant, je ne me prénomme pas Sibylle…
CatégorieTextes Formation Esprit livre school
Mots-clésNouvelles